P i n k P a p e r
Cellule de veille et d'action juridique en matière d'asile
Récits insoutenables de libye
En 2018, le profil des demandeurs d’asile arrivés au Luxembourg a évolué. Le premier pays d’origine des demandeurs d’asile du Grand-Duché est l’Erythrée. Ce flux s’explique en partie par les efforts de relocalisation fournis par le Luxembourg depuis l’Italie. En effet, la voie de migration empruntée par les Erythréens passe essentiellement par la Libye et l’Italie.
Or non seulement le régime d’Issayas Afeworki produit des traumatismes lourds chez les réfugiés nés dans la « Corée du Nord africaine » mais le parcours migratoire aggrave de manière tragique leur histoire.
En effet, les récits que nous collectons depuis un an sur la Libye comportent des éléments de récit insoutenables en termes de mauvais traitement, de torture et de viols à des fins d’extorsion.
En pratique, l’écrasante majorité des migrants et réfugiés sont détenus arbitrairement alors qu’ils n’ont jamais fait l’objet d’une inculpation ou d’une décision en vertu d’une loi sur l’immigration.
Beaucoup de ceux détenus dans les centres de rétention d’Etat sont les survivants d’abus horribles pratiqués par des trafiquants et des passeurs et ont besoin d'un soutien médical et psychologique adapté et d'une réhabilitation.
Extraits de témoignages collectés par Passerell
Un homme
Je suis resté enfermé quatre mois. Il y avait 120 personnes dans cette pièce ; 4 gardiens avec deux kalachnikov: deux tchadiens et deux libyens. Ce n’est pas la police, ni des militaires. C’est plutôt comme des pirates. Il fallait payer 4000 pour être libéré et ils demandaient encore 4000 pour aller en Italie. Ma famille a dû payer 8000 …
Pour te faire peur, ils pointent et tirent devant toi. Ils frappent avec la kalach. Pendant trois jours ils nous ont battus. Ils m’ont frappé avec du métal. Jusqu’en Italie j’avais encore mal. Maintenant ça va, j’ai reçu des médicaments au Luxembourg.
(Monsieur a été transféré en Italie en janvier 2019)
Une femme
On croyait qu’on allait au Soudan pour travailler mais ils nous ont amenés en Libye. Ils nous ont vendus à des libyens. Nous sommes arrivés à Ben Walid. On était une trentaine de somaliens mais il y avait aussi beaucoup d’érythréens.
J’étais enfermée au sous-sol avec d’autres somaliens, hommes et femmes. La nuit, les gardiens venaient nous chercher. Pour nous violer continuellement. Ils frappent les hommes et leur jettent de l’eau froide. Je suis restée un an là-bas.
Après 7 mois, ils ont décidé de nous faire travailler avec 5 autres femmes érythréennes car ils ont compris qu’on n’avait pas d’argent. Nous étions utilisées comme esclaves. Les gardiens avaient reçu pour consigne qu’ils pouvaient faire ce qu’ils voulaient avec nous. Alors « ça » a continué.
Après trois mois, j’étais malade. Je vomissais. J’avais la tuberculose. Je toussais beaucoup. Je ne travaillais plus bien. Les gardiens se fâchaient après moi. Ils disaient que je puais et que je n’étais pas propre. Ils m’ont fait partir par bateau pour se débarrasser de moi. Ils m’ont jetée dans le bateau.
Documentaire "Anatomie d'un crime" de Cécile Allegra (Fr., 2018, 75 min)
Extrait du documentaire
Interview de la réalisatrice
Vacarme, 12.09.2018, 13h04, AQUARIUS 3/5 - Dire l'impossible
Reportage: Maurine Mercier Réalisation: Jean-Daniel Motet Production: Véronique Marti
January 21, 2019 Video
Libya: Nightmarish Detention for Migrants, Asylum Seekers
Que fuient les Erythréens ?
Surnommée « Corée du Nord africaine », l’Érythrée est dirigée d’une main de fer par Issayas Afeworki, ancien héros de la guerre d’indépendance contre l’Ethiopie, obtenue en 1993 après une trentaine d’années de conflits entre Érythréens et Éthiopiens (la tension est encore aujourd’hui palpable entre l’Érythrée et ses deux voisins, l’Éthiopie et Djibouti).
Le 8 juin 2016, un rapport de la Commission d’enquête de l’ONU sur la situation des droits de l’Homme en Érythrée dénonce la nature totalitaire du gouvernement érythréen, l'ampleur des crimes contre l'humanité perpétués dans le pays qui sont commis de manière systématique dans le pays depuis 25 ans. Selon ce rapport, les crimes de réduction en esclavage, d'emprisonnement, de disparitions forcées, de torture, de persécution, de viol, de meurtre et d'autres actes inhumains ont été commis dans le cadre d'une campagne généralisée et systématique visant à instiller la peur, à dissuader l'opposition et à contrôler la population civile érythréenne par les autorités.